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26 décembre 2008

Financer le théâtre en Afrique de l’Ouest : une gageure

À travers l’Afrique de l’Ouest d’expression francophone, plusieurs festivals de théâtre annuels ou biennaux réunissent des professionnels venus d’Afrique ou d’Occident. C’est notamment le cas du Festival “Théâtre des Réalités” (FTR), qui a tenu sa neuvième édition au Mali du 1er au 7 décembre 2008. Pourtant l’organisation de tels événements culturels dans nos contrées n’est pas une sinécure. Budgets non bouclés, ardoises de dettes, démission des pouvoirs publics reviennent comme un refrain sur les lèvres des promoteurs de tels festivals. Décryptage.

Sessi T.

À la page 32 du programme de l’édition 2008 du Festival “Théâtre des Réalités” (FTR), en conclusion du paragrapheadama_et_dorine énumérant les partenaires ayant soutenu cet événement, quelques mots en lettres capitales et caractères grossis attirent l’attention du lecteur: “SANS LE SOUTIEN DU MINISTÈRE DE LA CULTURE DU MALI”. Par ce pied de nez, le fondateur et directeur artistique du FTR, Adama Traoré, entend bien relancer le débat sur le maigre soutien accordé par la plupart des gouvernements d’Afrique de l’Ouest aux manifestations culturelles, et plus précisément aux festivals de théâtre.
Interrogé par Cultur’Afrique, Adama Traoré confirme que depuis la création de son festival (neuf éditions en douze années d’existence), il n’a bénéficié d’aucun soutien financier de la part de l’État malien. “Jusqu’à aujourd’hui, le ministère de la Culture du Mali n’a jamais soutenu financièrement le Festival du Théâtre des Réalités. Pire: les salles qui lui appartiennent nous sont louées à chaque édition!”, s’indigne-t-il. Selon lui, cet état de fait déplorable persiste à cause de l’inexistence d’une véritable politique culturelle au Mali. En effet, une telle politique impliquerait la mise en œuvre de mécanismes d’aide à la création, à la diffusion et au fonctionnement de certaines structures culturelles non étatiques.
Conséquence directe de cette carence: Adama Traoré a beaucoup de mal à financer son entreprise, et cette situation suscite la méfiance des institutions bancaires: “Je n’ai pas totalement bouclé le budget du Festival et je suis déficitaire. Je crains que la relation avec ma banque, avec qui je travaille depuis la création de l’association Acte 7, en pâtisse. Cette banque a du mal aujourd’hui à me consentir des avances de trésorerie.” Calvaire!

yakanouLe metteur en scène malien est loin d’être le seul dans ce cas. Au Togo, Léonard Yakanou, le promoteur du Festival du Théâtre de la Fraternité (Festhef), témoigne d’une réalité à peu près identique. “Depuis la création du Festival, en 1993, je n’ai pas reçu de financement officiel de la part du ministère de la Culture de mon pays. Au terme de l’édition 2005, j’ai seulement eu la ‘chance’ de recevoir des mains du ministre de la Culture une enveloppe d’un montant de 3,1 millions de francs CFA”, témoigne-t-il depuis Bamako où il est venu assister au FTR. Mais ce geste, semblable à celui d’un bon samaritain, n’a rien d’officiel, précise aussitôt Léonard Yakanou. De plus, cette somme ne représentait qu’une goutte d’eau dans le budget du Festhef. Le plus grave, souligne le dramaturge togolais, c’est que les autorités de son pays estiment manifester leur soutien en lui accordant… l’autorisation d’organiser son festival! “Nous aimons ce que tu fais. On pourrait l’interdire mais on te laisse faire. C’est déjà un soutien”, lui a ainsi affirmé un responsable politique togolais. Si Léonard Yakanou n’est pas au bout de ses peines, il s’estime déjà heureux de recevoir un appui moral et en nature de son gouvernement: la mise à disposition d’un bus de quarante places avec du carburant, une couverture médiatique télévisuelle et une lettre de recommandation.

Parcours du combattant
“Ce que je reçois comme appui financier de la part de l’État sénégalais représente à peine 1% du budget total du Festivalmacodou international des Arts et Théâtre de Dakar (Fest’art)”, témoigne de son côté Macodou Mbengue, promoteur de cette manifestation. À ses yeux, la démission de nos gouvernants dans le financement de la Culture s’explique en premier lieu par l’ignorance et l’hypocrisie. “Ici, nos gouvernements pensent qu’il peuvent nous laisser tomber parce qu’ils estiment que nous trouvons de l’argent ailleurs, et que donc nous n’avons pas besoin de subventions”, fustige t-il. Les subventions au secteur culturel ne doivent pas être envisagées, selon lui, comme autant d’investissements “non rentables”. Le Sénégalais estime que le théâtre devrait pouvoir être subventionné dans les États africains, comme cela se fait un peu partout dans le monde.
Co-fondateur et co-organisateur des Récréatrales, une résidence de deux mois à l’intention des créateurs, au Burkina Faso, Ildevert Meda considère quant à lui qu’il est difficile d’évaluer le soutien de l’État burkinabè. Il souligne toutefois le caractère dérisoire de l’appui financier que les autorités apportent au budget de cette manifestation. “Selon les éditions on reçoit une enveloppe très variable, allant de 1 à 5 millions de francs CFA, ce qui représente moins de 5% d’un budget global estimé à 150 millions”, explique t-il avec amertume. Il regrette par ailleurs le caractère non pérenne de ce soutien: “Rien n’est jamais gagné d’avance. Le parcours du combattant recommence à chaque édition.”

ordenComparativement, le Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) fait figure d’Eldorado, puisque ses organisateurs bénéficient à chaque édition d’une subvention de 150 millions de francs CFA. Mais ce montant significatif est l’arbre qui cache la forêt: des mécanismes de décaissement longs et alambiqués handicapent lourdement les organisateurs, lesquels accusent à chaque édition de lourdes dettes envers leurs prestataires. “Nous savons que des procédures doivent prévaloir à la mise à disposition de fonds public, admet Orden Alladatin, l’actuel directeur du Fitheb, mais nous demandons aux autorités politiques, et en particulier au  ministère des Finances, de faciliter le décaissement des fonds à bonne date, pour que ceux-ci puissent bénéficier à l’organisation.”
Cette démission généralisée des autorités publiques dans le financement des manifestations culturelles est le reflet de la portion congrue réservée au secteur culturel dans le budget de chaque État. Au Mali, par exemple, “la part réservée à la culture est de 0,43% du budget national, dont 75% sont consacrés au fonctionnement du ministère de la Culture”, explique Adama Traoré. Selon le promoteur du FTR, de tels ordres de grandeur mettent en relief le déficit de la notion de service public dans les pays de la sous-région, dès lors que l’État minimise sa mission par rapport aux Arts et à la Culture. Pourtant, en se basant sur une étude réalisée en 2007 par la Banque mondiale, Adama Traoré affirme que la Culture contribue à 2,5% du PIB (Produit intérieur brut) au Mali, contre seulement 1% pour les secteurs des banques et des assurances réunis. Malheureusement, conclut-il, la Culture est le secteur où l’État investit le moins de moyens. Enfonçant le clou, le dramaturge considère que “l’État n’existe pas en tant que pouvoir public organisé ayant pour mission d’assurer la promotion et la protection de l’art”.
Sans compter les rackets et chantages en tout genre à endurer pour espérer obtenir un financement des grandes entreprises. “Je n’ai pas reçu de soutien des sociétés maliennes nationalisées, ajoute Adama Traoré. Sinon il m’aurait fallu composer avec un système biaisé et rentrer dans un circuit de corruption. Le sponsoring résulte du copinage et de jeux d’influence.

La Culture à guichets fermés
Aussi, délaissés par leurs propres gouvernements, les promoteurs ouest-africains de festivals de théâtre jettent leur dévolu sur les institutions financières du Nord et les représentations diplomatiques, communément appelées “guichets extérieurs”. Un soutien décisif, même s’il n’est pas toujours une panacée. “J’ai signé des conventions avec certaines institutions qui ne se sont pas encore exécutées”, se désolait le fondateur du FTR quatre jours après le démarrage de la neuvième édition.
Le Burkinabè Ildevert Méda déplore de son côté qu’en laissant certains organisateurs de festivals boucler la quasi-totalitémeda de leur budget en s’adressant aux guichets extérieurs (97% dans le cas des Récréatrales), les États en arrivent à perdre tout droit de regard dans ce domaine de souveraineté par excellence qu’est la Culture. La preuve: l’État burkinabè n’a pas son mot à dire dans la sélection des meilleurs projets des Récréatrales, alors que des partenaires étrangers qui ont financé l’événement disposent de ce droit. Quel dommage!
Si les opérateurs culturels se sentent en confiance en traitant avec ces guichets extérieurs, c’est aussi que la raison d’être de beaucoup de ces sources de financement reste l’appui à la Culture dans le sens du développement humain. C’est le cas notamment d’Africalia, une association belge à but non lucratif basée à Bruxelles. “L’objet même de notre existence est de soutenir les projets culturels en Afrique en ayant comme idéal que la culture est un vecteur et un outil de développement humain durable, résume Dorine Rurashitse coordinatrice artistique d’Africalia pour l’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela qu’on a été créé, et c’est dans ce cadre que nous apportons notre soutien à des initiatives et à des opérateurs culturels en Afrique.” Cette association subventionne des projets culturels dans sept pays d’Afrique dont le Burkina Faso, le Sénégal, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, pour un volume financier d’environs 1,2 million d’euros.
L’Union européenne apporte de son côté un soutien financier direct aux acteurs culturels non étatiques à travers son programme de soutien aux initiatives culturelles – au Sénégal, en Guinée Conakry, au Burkina Faso, au Mali, au Togo et plus récemment au Bénin – ou via le Fonds régional de Union européenne, mis à la disposition des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et basé au Burkina Faso.
Quant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), elle fait bénéficier plusieurs secteurs culturels d’Afrique francophone d’un soutien non négligeable. Une bouffée d’oxygène qui permet à la création théâtrale dans cette partie du continent de se maintenir. Pour autant, cette manne financière ne saurait se déverser éternellement. N’existe-t-il pas d’autres formes de financement pour la Culture? “Les subventions accordées par les guichets internationaux commencent à se raréfier, met en garde Dorine Rurashitse, d’Africalia. De nouvelles formes de coopération et de soutien doivent s’inventer pour trouver les fonds nécessaires à la mise en place, localement, d’initiatives culturelles pouvant à la fois survivre et en vivre.

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Commentaires
D
Salut Sessi,<br /> Remarquable travail. Voilà des choses qui devraient amener les notre à comprendre que si les CCF existent en Afrique c'est parce que la France tient au rayonnement de sa culture.<br /> Bon courage pour la suite
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