Interwiew de Nouréini Tidjani-Serpos, candidat au poste de Directeur Général de l'Unesco

Le candidat opérationnel de l'Afriquebanni_re_Serpos

Nouréini Tidjani-Serpos est né le 15 janvier 1946 à Porto-Novo au Bénin. Il est titulaire d’une licence de Lettres modernes, d’une maîtrise de Lettres de Nice, d’un doctorat de 3e cycle de l’Université de Paris VIII et d’un doctorat d’Etat de l’Université de Lille décroché en 1987. Il a enseigné dans de grandes universités à travers le monde comme à Paris VIII, à l’Université nationale du Bénin, il a occupé de hautes fonctions académiques. Il a occupé plusieurs fonctions à l’Unesco où il est actuellement le Sous-directeur général du Département Afrique. Il défend sa candidature au poste de Directeur général qui sera vacant le 15 novembre prochain.

Quel est le sens de votre visite au Sénégal ?

Le chef de l’Etat du Bénin a présenté ma candidature au poste de Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Culture, la Science et la Communication (l’Unesco). Le mandat de l’actuel Directeur général se terminera le 16 novembre et, conformément à la Constitution, il ne pourra plus se présenter. Nous avons pensé qu’il est important qu’à nouveau, à la tête de l’Organisation, nous puissions avoir un Africain. Mais surtout un Africain de l’intérieur qui puisse être rapidement opérationnel, qui connaît déjà les problèmes et sait jusqu’où les réformes ont été menées, un Africain qui connaît les défis auxquels l’Organisation doit faire face de par ces temps de crise. Pour l’Afrique, l’Unesco représente une organisation très importante, parce que, tout d’abord, le navire amiral de l’Organisation, c’est l’Education. Cela signifie que normalement, en 2015, nous ne devrions plus avoir d’analphabètes grâce à la réalisation de « l’Education pour tous ».

Qu’est-ce qu’il faut faire entre 2009 et 2015 ? Dans quels secteurs faudra-t-il mettre l’accent ?

Nous vivons dans un monde où la richesse, c’est l’appropriation du savoir, de tout ce que la science et la technologie et toutes les autres disciplines ont apporté pour aller de l’avant. Vous avez des pays comme le Japon qui n’ont pas de l’or, du diamant, du pétrole. Pourtant, ils font partie des grandes puissances du monde, parce qu’un accent particulier a été mis sur l’éducation, sur l’appropriation du savoir. Il faut qu’une accélération de l’éducation puisse être faite. L’éducation doit être revue. Ce qui m’intéresse, c’est la transmission et la diffusion du savoir.

Et le volet culture...

La culture ce n’est pas seulement faire du tam-tam, créer ou peindre. La culture, c’est transmettre le passé aux enfants, c’est faire en sorte que les enfants soient sensibles au patrimoine et puissent devenir des projecteurs. La culture, c’est ce que nos artistes font aujourd’hui, et ces artistes-là, il faut apprendre aux enfants ce qu’ils font pour qu’ils puissent les acheter demain, pour qu’ils puissent protéger ce patrimoine. Le secteur de la culture jouera sa part dans la diffusion des connaissances, en même temps pour le secteur de la science et le secteur de la communication. Mais, il faut se battre pour avoir des moyens de gérer. Si les Etats ne donnent pas les moyens, il faut aller vers d’autres sources, et c’est là que le partenariat compte. Le partenariat qui va permettre aux secteurs privés, aux Ong de participer aux activités de l’Unesco.

La fracture numérique risque d’accentuer les disparités en termes d’accès à l’information et au savoir. Que comptez-vous faire dans ce domaine ?

Pour la communication, il faut mettre l’accent sur l’éducation et la formation. Il faut que nous puissions former les communicateurs, les journalistes. Les professionnels se prendront en charge. Ils vont se doter d’une déontologie. Il n’y aura pas une autorité extérieure qui viendra leur imposer quoi que ce soit. Aujourd’hui, si vous ne faites pas attention, vous pourrez avoir un doctorat et être un analphabète du 21 siècle. Cela signifie qu’il faut tout faire pour que même les habitants des villages éloignés puissent avoir accès à l’ordinateur. Y compris dans les villages sans énergie électrique ! C’est la vision dont je suis porteur et dans cette vision, l’Afrique demeurera une priorité, particulièrement les problèmes des femmes. Il faut aussi sensibiliser les enfants aux problèmes de l’environnement.

Votre candidature est-elle portée par les autres Etats d’Afrique ?

La candidature béninoise est la seule candidature de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Le chef de l’Etat, le président Yayi Boni, a déjà écrit à tous ses pairs pour leur demander de soutenir cette candidature. Cette candidature ira également au prochain Sommet de l’Union africaine, en même temps que la candidature de la Tanzanie. Le sommet de janvier avait déjà approuvé la candidature de l’Egypte. Maintenant, il s’agit d’actualiser la liste des candidats africains et d’obtenir l’onction du sommet pour que nous puissions tous aller nous présenter devant le Conseil de l’Unesco. Le Conseil est composé de 58 membres. Sur 58, l’Afrique subsaharienne compte 13 voix. Il faut non seulement mobiliser l’Afrique, mais aussi les autres régions du monde pour qu’elles puissent porter, avec l’Afrique, la candidature.

Quelle est la légitimité de votre candidature ?

Je suis d’abord porté par une ambition légitime, parce que je suis universitaire. J’enseignais dans d’importantes universités du monde. Ensuite, j’étais ambassadeur de mon pays, membre du Conseil exécutif de l’Unesco. J’ai été président du Conseil exécutif de l’Unesco. J’ai occupé beaucoup de fonctions importantes. Et, j’ai eu à diriger des délégations dans les réunions internationales, que ça soit au niveau national, régional et international ou au niveau mondial. L’expérience est là. Raison pour laquelle je dis : de tous les candidats, j’apparais comme celui qui est immédiatement opérationnel.

Quel bilan faites-vous de l’action de l’actuel Directeur général ?

Lorsqu’il était venu, c’était l’Unesco tronquée. Il y avait des grands Etats qui avaient quitté : la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Le Singapour aussi. Il a eu une politique diplomatique pour ramener ces Etats. Il faut lui reconnaître cela. Il a aussi accordé une priorité à l’Afrique. Son pays a donné des moyens pour que cette priorité puisse devenir une réalité. Tous les chefs d’Etat, les ministres de l’Education lui ont rendu hommage. Sur le plan de la culture, il y a eu un nombre important de conventions sur la préservation de la culture, la convention sur la diversité culturelle, le patrimoine immatériel. Un travail normatif a été fait. Si je suis élu, je ferai en sorte que tous les Etats ratifient ces conventions. Il a introduit, dans la gestion, beaucoup de réformes, à travers le système dénommé « la gestion par les résultats ». Cela a permis d’avoir des indicateurs précis pour juger le travail que font les fonctionnaires. Pendant toute sa gestion, il n’a jamais grevé le plafond budgétaire. Il a introduit de grandes réformes. Si je suis élu, je vais renforcer la mise en œuvre de ces réformes. Il y a la crise qui n’est pas prévue. Et, pour ces éléments, il faut trouver des solutions. Il va falloir, avec les Etats, définir les solutions. C’est sous son mandat que nous avons plus de radios communautaires. Il a mis en place une politique de reconstruction rapide des écoles, des musées pour soulager des populations qui sortent des conflits.

Un Africain a été porté à la tête de l’Unesco. Est-ce que vous ne craignez pas de vivre les problèmes qu’il avait connus ?

Le Directeur général Ahmadou Mahtar Mbow a beaucoup fait. C’est sous lui que les problèmes des identités nationales ont été posés. L’histoire générale de l’Afrique a été introduite sous son mandat. C’est sous lui que le programme de participation qui permet à l’Unesco de s’occuper et de contribuer aux activités des Etats membres a été obtenu. Aujourd’hui, les Etats qui étaient partis sont revenus. L’Unesco est redevenu universelle. Nous ne sommes plus dans la période de la guerre froide qui a caractérisé la période de Ahmadou Mahtar Mbow. Nous sommes dans un monde multipolaire. Nous avons besoin, aujourd’hui, de mobiliser le partenariat, de s’assurer, outre ce que les Etats membres donnent comme contribution, que nous pussions mobiliser le fonds extraordinaire.

A quelles autres valeurs accorderez-vous la priorité ?

Il faut convaincre les gouvernements que le développement durable, c’est le développement de l’homme et de son environnement. Quelqu’un qui n’est pas bien éduqué, qui n’est pas en bonne santé, n’est pas à même de participer au développement. Pour moi, la première des valeurs, c’est la solidarité. L’autre valeur de base, c’est la tolérance, l’acceptation de l’autre dans sa différence. Cela implique un dialogue des cultures, des civilisations et non pas une confrontation. Tout le monde a vu là où l’ultralibéralisme a conduit le monde : cela nous a menés vers la catastrophe.

Propos recueillis par Idrissa SANE